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Le pongo ou le rêve de celui qui appartenait à l'espèce humaine




extrait de Agua, un recueil de contes pour la plupart quechuas, retranscrits et traduits par José Maria Arguedas, une traduction libre de l'espagnol (péruvien) au français de Gaëlle Marie Lucie Pertel Pacheco avec l'aimable autorisation de Mme Sybilla Arredondo de Arguedas




" (...) quand il est nu, l'homme n'a plus que sa parole pour conserver sa dignité. "

Direct du droit-Eric Dupond-Moretti, avocat pénaliste



Le petit homme, ouvrier agricole, allait prendre son tour de pongo dans la grande demeure. Chétif, malingre, gringalet en somme, il portait de vieux vêtements.

Le voyant à l'entrée, le maître éclata de rire.

" Un homme ? s'exclama-t-il devant les hommes et les femmes de service. Le pongo mortifié, attendait, terrorisé, le regard vide.

"Bon ! Tu sais laver des casseroles ou balayer ? Mènes-le à la cuisine ! ordonna- le patron, Le pongo s'inclina, baisa les mains du patron et tête baissée suivit le majordome.

Bien que de petite taille il en faisait tout autant que les autres et le faisait parfaitement. avec malgré tout toujours cet air craintif, certains se moquaient, d'autres le plaignaient.

" Il me fait de la peine cet orphelin d'orphelins avec sa triste mine. " disait la cuisinière.

Il ne parlait à personne, il travaillait, mangeait en silence et faisait tout ce que qui lui était ordonné. "Oui, monsieur, oui, madame". Le patron le prit en grippe, pour son expression ou bien pour ses loques ou bien encore pour son mutisme ?

A la tombée de la nuit, dans la galerie, à cette heure de la prière du soir, devant la domesticité réunie le patron martyrisait l'hommelet ; il le secouait comme un vieux torchon, le mettait à genoux, lui donnait des tapes sur le visage.

chien, aboie ! ordonnait -il.

L'hommelet n'aboyait pas.

- A quatre pattes, ordonnait-il encore

Le pongo faisait quelques pas à quatre pattes

- Trotte de côté, chien !

Et le petit homme imitait les petits chiens de la puna.

Le patron se tordait de rire

- Reviens ! criait-il quand le pongo atteignait le bout du grand couloir, il revenait en trottinant de côté, exténué.

Les autres ouvriers récitaient l'Ave Maria avec ferveur.

" Dresse les oreilles chinchilla ! continuait le maître, assis-toi sur tes pattes arrières, frappe des mains. "

Le pongo adoptait comme innée, l'attitude de ces petites bêtes en arrêt sur les flancs de la montagne comme si priantes. Mais il ne savait pas dresser ses oreilles et cela faisait rire des domestiques.

Le patron d'un coup de botte le faisant tomber alors sur le sol en briques du couloir, s'adressait aux domestiques alignés : " prions le Notre- Père ! "

Le pongo se relevait péniblement mais ne priait pas, n'étant pas au bon endroit, cet endroit n'était d'ailleurs propice à rien. Dans la pénombre du soir, les gens de la maison descendaient de la galerie au patio et se dirigeaient lentement vers la maison.

" Vas - t'en ! " ordonnait finalement le patron.

Et tous les jours, c 'était l'humiliation du pongo, le patron l'obligeait à se rouler par terre, à rire, à feindre les larmes, le livrait aux moqueries des autres colons.

Mais à l'heure de l'Ave Maria, un soir, alors que la domesticité était réunie dans la galerie, le patron le regard méchant, le fixait et le pongo avec son sempiternel air effrayé, prit la parole.

" Avec ta permission, mon seigneur, mon maître, commença l'hommelet, cette nuit, j'ai rêvé que nous étions morts, morts ensemble.

- Quoi ! Toi, avec moi ! raconte ! s'exclama le patron.

- Oui maître, nous étions morts, nus, tous les deux, nus devant Saint Pierre.

- Continue ! ordonna le patron en colère et intrigué.

- Nous voyant morts et nus, ensemble, Saint Pierre nous examina de son regard perçant. Il nous scrutait, toi et moi. Je crois qu'il soupesait le cœur de chacun, toi, homme riche et puissant, tu soutenais son regard, mon père...

- Et toi ?

- Je ne sais pas comment j'étais, mon maître, je ne peux pas savoir ce que je vaux.

- Bien ! Et alors ?

- Alors, Saint Pierre dit : " Que le plus bel archange de tous les archanges vienne et avec lui le plus bel ange. Que ce petit ange apporte une coupe en or pleine du meilleur sirop de cassonade.

Les ouvriers écoutaient le pongo, inquiets.

- Ècoute Patron, à peine Saint Pierre finit de parler, qu'apparut un ange plus resplendissant que le soleil, il vint à petits pas jusqu'à lui. Derrière cet archange avançait un autre ange plus petit, enveloppé d'une douce lumière semblable à celle émanant des fleurs nimbées de rosée matinale. Il portait une coupe en or.

- Alors ? répéta le patron.

- Recouvre ce monsieur de sirop de cassonade, Archange. Que tes mains en passant le long de son corps soient plus douces et légères que des plumes." intima le Saint Père et c'est ce que fit l'illustre ange, il couvrit ton corps de sirop de la tête aux pieds et tu te dressais étincelant dans le ciel radieux. Ton corps resplendissait comme de l'or.

- Comme de juste! s'exclama le patron, et pour toi ?

- Alors que tu brillais dans le ciel, Saint Pierre reprit : "Que vienne maintenant le plus ordinaire de tous les anges et qu'il apporte avec lui un bidon rempli d' excréments humains ? "

- Et ?

À ce moment là donc, un vieil ange fatigué, boiteux, les ailes tombantes se présenta devant le Saint Père, un bidon usagé entre les mains.

- Hé le vieux ! l'apostropha Saint Pierre, recouvres le corps de ce petit homme avec la merde que tu as apporté, tout entier, peut importe comment ! Allez !

Le vieil ange pris la merde du bidon et en recouvrit mon corps de ses mains noueuses, comme s'il enduisait quelconquement de terre les murs d'une maison quelconque et moi j'étais là, honteux, tout puant.

- Ça c'est bien fait ! se réjouit le patron, continue ! Ou ça se finit comme ça ?

Non, mon seigneur maître, écoute encore, ! Saint Pierre nous regarda à nouveau longuement toi et moi. Il nous scruta je ne sais jusqu'à quelle profondeur, mêlant le jour à la nuit, l'oubli aux souvenirs ; finalement il dit " Les anges ont faits tout ce qu'ils avaient à faire, c'est à vous maintenant, allez, léchez-vous mutuellement l'un et l'autre, lentement, longuement. "

A ce même instant, le vieil ange rajeunit, ses ailes retrouvèrent soudainement leur couleur noire ainsi que leur vigueur et Saint Pierre le chargea de veiller à ce que sa volonté s'accomplisse bien.




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