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Le pongo ou le rêve de celui qui appartenait à l'espèce humaine




une traduction libre de l'espagnol (péruvien) au français par Gaëlle Marie Lucie Pertel Pacheco avec l'aimable autorisation de Mme Sybilla Arredondo de Arguedas du conte Le rêve du Pongo extrait de Agua, un recueil de contes pour la plupart quechuas, retranscrits et traduits du quechua vers l'espagnol par José Maria Arguedas



" (...) quand il est nu, l'homme n'a plus que sa parole pour conserver sa dignité. " Direct du droit-Eric Dupond-Moretti, avocat pénaliste


"Vivre, dit-il à peu près, c'est alors tout le sacré."

Maurice Blanchot à propos de L'espèce humaine de Robert Antelme




Le pongo ou le rêve de celui qui appartenait à l'espèce humaine


Le petit homme, ouvrier agricole, allait prendre son tour de pongo dans la grande demeure. Chétif, malingre, gringalet en somme, il portait de vieux vêtements.

Le voyant à l'entrée, le maître éclata de rire.

" Un homme ? s'exclama-t-il devant les hommes et les femmes de service. Le pongo mortifié, attendait terrorisé, le regard vide.

"Bon, tu peux toujours balayer ou laver les casseroles ! Allez, amène-le à la cuisine ! ordonna le patron. Le pongo s'inclina, baisa les mains du patron et suivit le majordome, tête baissée.

Bien que petit de taille, cela ne l'empêchait pas d'en faire tout autant que les autres et parfaitement. Avec malgré tout toujours cet air craintif qui faisait que certains se moquaient de lui et d'autres le plaignaient.

" Il me fait de la peine cet orphelin d'orphelins avec sa mine triste. " disait la cuisinière.

Il travaillait et mangeait en silence, sans parler à qui que ce soit et faisait tout ce que l'on lui ordonnait. "Oui, monsieur. Oui, madame". C'est ainsi que le patron le prit en grippe. Était-ce du à son expression ou pour ses habits en loques ou encore parce qu'il ne disait, justement ?

À l'heure de la prière du soir dans la galerie, alors que toute la domesticité était réunie, le patron en profitait pour l'humilier. Il le secouait comme un vieux torchon, le faisait se mettre à genoux, le gifflait.

 Aboie chien ! ordonnait-il.

Le petit homme n'aboyait pas.

- A quatre pattes, ordonnait encore le patron

Le pongo à quatre pattes parcourait quelques mètres.

- Trotte de côté maintenant ! chien !

Et l'hommelet d'imiter les petits chiens qui vivent dans la Puna.

Le patron se tordait de rire.

- Reviens ! criait-il quand le pongo atteignait le bout du corridor. Et il revenait en trottinant de côté, exténué.

Pendant ce temps, les autres récitaient l'Ave Maria avec dévotion et ardeur.

" Chinchilla ! Dresse les oreilles ! continuait le maître, Assis ! Applaudis ! "

Le pongo adoptait l'attitude, comme si innée, de ces petites bêtes qui en arrêt sur les flancs de la montagne avaient l'air de prier ; mais il ne pouvait pas dresser ses oreilles, les autres riaient.

Le patron, d'un coup de botte le poussait alors sur les tomettes du couloir et s'adressant aux domestiques alignés : " Notre Père ! "

Le pongo se relevait péniblement mais ne priait pas car il n'était pas au bon endroit pour cela. D'ailleurs ce n'était pas un endroit propice à quoique ce soit. Dans la pénombre du soir tombant, les gens de la maison descendaient peu à peu de la galerie au patio pour se rendre à la maison. Finalement le patron lui ordonnait de s'en aller.

Et ainsi tous les jours, le patron faisait le pongo se rouler par terre, l'obligeait à rire, à feindre les larmes, les autres colons se moquaient. Un soir, à l'heure de l'Ave Maria, toute la domesticité était réunie dans la galerie et alors que le patron de son regard méchant le fixait, le pongo avec sa sempiternelle mine effrayée, prit la parole.

" Avec ta permission, mon seigneur, mon maître, commença l'hommelet, cette nuit, j'ai rêvé que nous étions morts, morts toi et moi, ensemble.

- Quoi ! Ensemble ! Raconte ! s'exclama le patron.

- Oui Maître, nous étions nus, morts, toi et moi devant Saint Pierre.

- Continue ! ordonna le patron intrigué et en colère

- Nous voyant nus et morts, Saint Pierre de son regard perçant nous examina scrupuleusement, Il scrutait chacun de nous deux. Je crois qu'il soupesait nos cœurs. Toi, l'homme riche et puissant, tu soutenais son regard, mon père...

- Et toi ?!

- Je ne sais pas comment j'étais, maître, je ne sais pas ce que je vaux.

- Bien ! Et alors ?

- Alors, Saint Pierre dit : "Que le plus bel archange de tous les archanges vienne et avec lui le plus bel ange portant une coupe en or pleine du meilleur sirop de cassonade."

Les ouvriers inquiets écoutaient le pongo.

- Patron, écoute !

À peine Saint Pierre eut finit de parler, qu'un ange plus resplendissant que le soleil apparut délicatement. Derrière cet archange avançait un autre ange plus petit, enveloppé d'une douce lumière semblable à celle émanant des fleurs nimbées de rosée matinale. Il portait une coupe en or.

- Alors ? redemandait le patron.

- Couvre ce Monsieur de sirop de cassonade, Archange. Que tes mains en passant le long de son corps soient les plus douces et les légères, telles des plumes." intima le Saint Père et c'est ce que fit l'illustre ange, il te recouvrit le corps de sirop de la tête aux pieds et tu te dressais ainsi, étincelant sous le ciel radieux, ton corps resplendissant comme de l'or.

- C'est juste ! s'exclama le patron et toi ?

- Alors que tu étais dans les cieux, resplendissant, Saint Pierre ordonna encore :"maintenant que le plus ordinaire de tous les anges apporte avec lui un seau d' excréments humains "

- Et ?

 Un vieil ange boiteux, les ailes fatiguées se présenta alors devant le Saint Père, un bidon cabossé entre les mains.

- Hé ! le vieux ! l'apostropha Saint Pierre, couvres le corps de ce petit homme avec la merde que tu as apporté, peut importe comment ! Allez !

Le vieil ange pris la merde du bidon avec ses mains noueuses et en recouvrit mon corps comme s'il enduisait quelconquement de terre les murs d'une maison quelconque et moi, j'étais là puant, tout honteux.

- Bien fait ! se réjouit le patron, continue ! Ou ça se finit comme ça ?

- Non, Maître, écoute encore ! Saint Pierre nous regarda à nouveau longuement, toi et moi. Il nous scruta je ne sais jusqu'en quelle profondeur, mêlant le jour à la nuit, l'oubli aux souvenirs ; il dit finalement - " Les anges ont fait tout ce qu'ils avaient à faire, maintenant, c'est à vous ! Allez ! Léchez-vous l'un et l'autre lentement, longuement, réciproquement "

Alors que les ailes du vieil ange soudainement retrouvaient toute leur vigueur et leur belle couleur noire et qu'il rajeunissait à vue d'œil, Saint Pierre le chargea de veiller à ce que sa volonté s'accomplisse.

Rennes, le 03/07/204



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